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Fulgence Bienvenüe. L’inventeur du métropolitain

Article paru dans Le Télégramme du 11 juin 2001


Le 19-juillet 1900, alors que s'ouvre l'Exposition Universelle, la première ligne du métropolitain qui relie la porte de Vincennes à la porte Maillot est inaugurée. C'est un Breton d'Uzel dans les Côtes d'Armor, Fulgence Bienvenüe (il tenait beaucoup aux trémas), qui a mené le difficile chantier à son terme. Une gare, Montparnasse, celle qui voit arriver les Bretons à Paris, porte son nom, alors qu'on l'ignore volontiers. A deux pas de sa maison natale, un buste de bronze dû au talent de Bernard Potel, de Pléneuf-Val-André, rappelle qu'il fut un ingénieur hors pair et un homme d'une trempe rare. Une copie de ce buste sera d'ailleurs installée dans le métro parisien dans le courant de l'année.




Fulgence Bienvenüe Marie Auguste est né à Uzel le 27-janvier 1852. Il est le treizième enfant d'un notaire et le petit-fils d'un magistrat qui fut député à la Chambre des représentants en 1815.

La perte d'un bras

Le père est un helléniste et un latiniste distingué, des dispositions qui ne laissent pas indifférent le jeune Fulgence. Il citera souvent César: "Nihil actum est si quid superesset agendum", rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à achever. Plus tard, il résumera son travail par cet hexamètre que l'on attribua à tort à un classique grec: "Jovis erepto fulmine, per inferna véhitur Promethei genus", la race de Prométhée est transportée à travers les enfers par la foudre arrachée à Jupiter. Le jeune Fulgence est doué. Il passe son bac à 15 ans. Il fait ses études au collège Saint-Martin de Rennes. En 1870, il a 18 ans, il est admis à l'Ecole Polytechnique, puis en 1872, il intègre l'Ecole des Ponts et Chaussées. Nommé ingénieur ordinaire de 3e classe, sa première affectation est pour Alençon. Il conduit la construction du chemin de fer de Fougères à Vire et se fait déjà remarquer par l'originalité et l'audace de ses travaux.

40 ans de querelles

En 1881, lors d'une visite de chantier dans le cadre d'une expropriation, il est précipité sur la voie à la suite d'un choc et perd son bras gauche, broyé par le wagonnet sur lequel il était juché. Plus tard, il parlera de cet accident comme de "l'expropriation de son bras". Cette infirmité n'a cependant pas raison de son courage. En 1884, il demande sa mutation pour la capitale. Il travaille à l'exploitation des Chemins de fer de l'Est et du Nord, puis il s'attelle à l'aménagement des Buttes-Chaumont et à la construction du funiculaire de Belleville. En 1891, il a en charge d'alimentation en eau de la capitale. Une fois de plus, il mène à bien son affaire. L'homme est brillant. Cela n'échappe pas au directeur des Travaux de Paris, Edmond Huet qui lui demande, en 1896, d'établir l'avant-projet du chemin de fer urbain. Le dossier est bouclé en quelques semaines et bientôt soumis à la commission municipale ad hoc, approuvé et soumis à enquête d'utilité publique. L'année suivante, le directeur prend sa retraite. Fulgence Bienvenüe devient ingénieur en chef des études et travaux du métropolitain, un serpent de mer dont on ne voit toujours pas le bout. La France compte un sacré retard sur d'autres pays, y compris Istanbul en 1875, New York en 1868. Les Britanniques ont ouvert, en 1863, la ligne Londres-Paddington. A la vérité, en France, cette idée ne date pas d'hier. Dès 1851, Flachat et Brame, deux ingénieurs, avaient soutenu le projet d'un métropolitain. Une querelle stérile va durer 40 ans. Les grandes compagnies privées de chemin de fer veulent un métro qui serait le prolongement normal du tracé des lignes, Paris étant le centre de cette étoile. La municipalité voulait au contraire un chemin de fer d'intérêt local propre à désengorger la ville.

Travaux en 1898

Le temps presse. En 1895, la ville de Paris reprend le projet de métropolitain. L'exposition universelle se rapproche. Le dossier est d'une folle complexité. La technique est inconnue ou presque. Le sous-sol révèle des pièges. Égouts, canalisations diverses l'encombrent. Les riverains paniquent. Les travaux, qui vont constituer une vraie gêne pour eux, débutent en 1898. Il s'agit de donner forme à la ligne Porte de Vincennes-Porte Maillot. Il est sans doute trop tard pour faire coïncider son inauguration avec celle, en avril, de l'exposition universelle. Qu'à cela ne tienne. Le 19-juillet, à 13-heures, les premiers passagers empruntent le métro. Huit seulement des 18 stations étaient achevées, les autres le furent en août et septembre. L'événement est cependant considérable et l'Exposition universelle qui se poursuit, lui sert de caisse de résonance. D'ailleurs, le 2-octobre 1900, l'embranchement Etoile-Trocadéro favorisant l'accès direct à l'exposition, est ouvert. A la mi-décembre, c'est au tour de la section Porte Daphine-Etoile d'être livrée. Ce mois-là, ils furent près de 4-millions de Parisiens et de visiteurs, à prendre le métro.

84 morts dans un accident

Le succès est tel que la municipalité presse désormais Fulgence Bienvenüe de construire de nouvelles lignes. C'est ce qu'il fait avec la ligne 2: Porte Dauphine-Etoile-Nation. Les détracteurs du métro, vont avoir gain de cause, du moins provisoirement. Le 10-août, un début d'incendie se déclare dans une rame à Barbès. Cet accident va provoquer une catastrophe. Bloqués dans une autre rame par une épaisse fumée, les voyageurs refusent de descendre, sauf à être remboursés -! Soudain, les lumières s'éteignent. Dans leur fuite les passagers se bousculent, se piétinent. Il y aura 84 morts. Cette tragédie aura un mérite: des normes de sécurité seront renforcées et l'emploi de matériaux combustibles sera écarté. L'histoire du métro se poursuit. Les ingénieurs vont poursuivre leur tâche. Une des plus belles pages du métro s'écrira entre août-1905 et décembre-1909 quand il faut imaginer une solution permettant le creusement de la station Saint-Michel à quelques dizaines de mètres de la Seine. Le sol est gorgé d'eau. ll se prête mal aux forages. C'est même dangereux. Fulgence Bienvenüe imagine tout bonnement de congeler le terrain. Pendant 40 jours, il fait injecter une saumure de chlorure de calcium refroidi à - 24º et ça marche, mais il faudra creuser à la pelle… Comme un immense tricot, le métro va étendre sa toile. De 55-millions de passagers transportés en 1901, le trafic passe à 310-millions en 1910 et à 467-millions en 1913. La guerre n'interrompra pas cette activité. Mieux de nouvelles lignes voient le jour.

Retraité à 82 ans

En 1914, Fulgence Bienvenüe tint à être mobilisé en dépit de ses 62 ans. Il fut mobilisé avec le grade de colonel et participa à l'aménagement du camp retranché de Paris. En 1917, alors que la menace allemande s'est éloignée, il est nommé à la direction du service du Port de Paris. Il ne perd pas de vue pour autant son cher métro et continue la tâche commencée. En 1932, on compte 138-km de lignes et on atteint les 800-millions de passagers. Le 6-décembre, après avoir été maintenu en activité malgré ses 82 ans, il prend sa retraite. Il décède le 3-août 1936, à son domicile, boulevard de Courcelles. Son inhumation a lieu le 7 au Père Lachaise. La veille, les obsèques de Blériot ont eu lieu aux Invalides. Fulgence Bienvenüe, le Breton génial et courageux, n'eut pas droit aux mêmes honneurs.

Ferdi Motta



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