Mise à jour le : 03/03/04

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Par Christian SOURDAINE d'apres "Trois siècles de Cartographie dans l'Ile-de-France" , document IGN (Juin 2001).

   L'Académie des Sciences.

Jusqu'au milieu du XVIIe siècle, il n'existait en France aucun organisme officiel chargé de la production de cartes. En 1661, Colbert, investi par Louis XIV de larges pouvoirs, prend en main la restauration du royaume. Il a besoin de connaître avec précision le territoire national, ses voies de communication et l'imbroglio des limites administratives.

En 1663, il ordonne un inventaire des ressources et demande de rechercher les cartes les plus détaillées des provinces et généralités :

elles ne sont parfois "qu'une mosaïque de lambeaux disparates", imprécises, car leurs auteurs, les "géographes de cabinet", répètent les mêmes erreurs en compilant les divers documents existants.

C'est dans ce contexte qu'en 1666, Colbert crée l'Académie des Sciences, puis, véritable décision politique, oriente l'action de celle-ci vers la recherche de méthodes cartographiques précises. Dans la séance du 23 mai 1668, son porte parole M. de Carcavi, demande aux académiciens "que l'on travaillast à faire des cartes géographiques de la France plus exactes que celles qui ont été faites jusqu'icy, et que la Compagnie prescrivit la manière dont se serviraient ceux qui seront employé à ce dessein". L'émergence de nouvelles méthodes cartographiques basées sur la triangulation était apparue, d'abord en Hollande avec Snellius, puis en Angleterre. La région parisienne sera le terrain privilégié des premiers essais français.

La "Carte Particulière des Environs de Paris par Messrs de l'Académie Royalle des Sciences en 1674" est la première oeuvre qui a suivi la décision de 1668. Pour la première fois en France, elle est réalisée à partir d'un canevas de triangles..... Elle a été levée par l'ingénieur David du Vivier de 1668 à 1674, sous la direction des académiciens Roberval et l'abbé Jean Picard, puis gravée de 1671 à 1678 par F. de la Pointe (cuivres à la Chalcographie du Louvre).

C'est en marge de la réalisation de cette carte que l'Académie a effectué les travaux qui l'ont illustrée pour plus d'un siècle. Dès le début des levés, l'abbé Picard avait perçu l'utilité d'entreprendre une mesure exacte du degré de méridien terrestre.

De 1668 à 1670, il dirige les opérations de la mesure de la Terre, fait perfectionner les instruments en réalisant un quart de cercle à lunettes et un secteur astronomique de 10 pieds. Sur la route de Fontainebleau, une base de 5663 toises est mesurée au moyen de perches de bois de 4 toises entre le moulin de Villejuif et le pavillon de Juvisy ; des pyramides élevées au XVIIIe siècle rappellent toujours le fait. Puis Picard mesure une chaîne de 13 triangles sur un arc de méridien entre Sourdon près d'Amiens et Malvoisine près de La Ferté-Allais, points extrêmes où des mesures astronomiques permettent de déduire leur différence de latitude.

La longueur du degré méridien ainsi obtenue en 1670 est de 57 060 toises. Cette première mesure précise de la Terre marque le début de la géodésie française et assure à Picard une place exceptionnelle parmi ses fondateurs.

En 1669, Colbert avait fait venir à l'Académie un brillant astronome italien de l'université de Bologne, Jean-Dominique Cassini, premier d'une célèbre dynastie de quatre géographes au service de la cartographie française.

   La Carte de Cassini ou de l'Académie.

Après la mort de Colbert en 1683 et jusqu'à la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'Académie des Sciences avait pour unique vocation géographique la recherche de la forme de la Terre et la confection du canevas géométrique de la France : elle était un organisme de tutelle scientifique, à l'exclusion de toute production de carte de détail, domaine des géographes privés. Les Cassini vont poursuivre la triangulation de Picard, mesurant la Méridienne de l'Observatoire "prolongée", puis "vérifiée".

La mire du Nord à Montmartre, et les obélisques d'Orveau et Manchecourt près de Malesherbes jalonnent toujours la Méridienne. En 1744, Cassini III de Thury achève la triangulation de 1er ordre de la France.

En 1746, il est en Flandre pendant la guerre de Succession d'Autriche, collaborant avec des ingénieurs militaires au canevas géométrique et à des levés de la région.

C'est le 7 juillet 1747, alors que Louis XV est à Raucoux où Cassini lui montre une carte des lieux de la victoire, que le roi émerveillé par les détails qu'il y trouve, prend la grande décision : "Je veux que la carte de mon royaume soit levée de même, je vous en charge, prévenez M. de Machault" contrôleur général des finances.

Cette décision n'était pas un caprice, Cassini avait su y préparer le roi. Au siècle des lumières, les progrès de la connaissance nécessitaient d'inventorier les moindres objets de l'espace géographique en entreprenant la carte géométrique détaillée de l'ensemble de la France.

La dépense à supporter par l'État avait paru raisonnable : Cassini avait prévu 40 000 livres annuelles sur vingt ans pour 182 feuilles.

Le problème sera celui de la production espérée de 10 publications en moyenne par an, cadence que l'on n'atteindra jamais. Les délais de préparation avant la production réelle avaient été sous-évalués : il faudra d'abord densifier la triangulation existante, recruter le personnel et le rendre opérationnel, enfin trouver et former des graveurs de qualité dans les spécialités de la lettre et du plan.

Les premières feuilles à produire, celles de la région parisienne, devaient être particulièrement soignées, car le succès de l'entreprise en dépendait. Paris et Beauvais, très attendues par le roi et la cour, parurent enfin en 1756. Au château de Compiègne, l'accueil du roi fut mitigé, "il parut tout étonné de la précision du détail, surtout dans la forêt dont toutes les routes étaient marquées..." écrit Cassini.

Mais en raison des délais et aussi parce que la guerre avait repris, Louis XV va lui couper les fonds "Mon pauvre Cassini, j'en suis bien fâché, mon contrôleur ne veut plus que je fasse continuer la carte". Dès la même année, encouragé par le roi, Cassini a recours à la privatisation pour financer son entreprise et fonde la "Société de la Carte de France". Cette association de 50 actionnaires semble avoir eu une gestion satisfaisante et, chose étonnante, elle réussit à équilibrer les dépenses par la vente des cartes et les aides des provinces.

En 1757, les huit autres cartes couvrant la région Île-de-France étaient publiées. Pour le reste de la France, les levés s'achèveront en 1789, date à laquelle il ne restait plus qu'à graver les feuilles de Bretagne. Les cuivres et la plupart des minutes originales sont toujours à l'I.G.N.

La présentation de la carte en grandes feuilles rectangulaires, couvrant 40 000 sur 25 000 toises ou 90 sur 56 cm, est très sobre, chaque feuille "particulière" faisant partie de l'ensemble de la Carte de la France. On n'y trouve pas de cartouche de titre, ni légende, auteur ou date de publication. En dehors du cadre n'apparaissent qu'une double numérotation, aux angles les distances à la méridienne et à sa perpendiculaire et enfin l'échelle graphique en lieues, puis en mètres ajoutée après 1799.

La carte est d'une lecture agréable, les graveurs ont été formés avec soin, les écritures sont bien gammées et élégantes, mais le manque d'homogénéité dans l'assemblage des feuilles était inévitable. À la même échelle du 1:86 400 que celle de du Vivier, la carte de Cassini est dans son contenu incomparablement supérieure. Pourtant en raison des progrès attendus, les critiques ne lui ont pas manqué. L'orographie n'avait guère progressé car, en l'absence de nivellement, le relief ne pouvait toujours être figuré que par des hachures approximatives.

La faiblesse du réseau routier réduit aux voies principales était beaucoup plus critiquable. En fait, seule la feuille de Paris est convenable sur ce point : quelques zones vers Orsay, Montmorency, Colombes, fourmillent même de chemins secondaires que l'on semble avoir eu du mal à hiérarchiser. Les allées des forêts et parcs ont été particulièrement bien traitées. On notera qu'après la première édition et sur les tirages issus des cuivres actuels, de nombreuses rectifications routières ont été ajoutées, sans suppression du tracé antérieur. Ces additions, le plus souvent d'époque napoléonienne et parfois erronées, sont généralement les seules modifications intervenues dans les éditions postérieures.

Dans la liste des objets topographiques à lever, Cassini, craignant de ne pouvoir être exhaustif, avait demandé d'ajouter "tous ceux dont la connaissance pouvait être de quelque utilité". Malgré quelques oublis, l'oeuvre est d'un grand intérêt par sa richesse toponymique. On lui a surtout reproché de n'avoir pas représenté les lieux habités dans leur dimension réelle en plan : hormis les villes principales, on s'est contenté de signes conventionnels, simples figurines en élévation. Cassini s'en est justifié par l'échelle trop petite, se défendant d'avoir voulu dresser une carte topographique. Plus géodésien que topographe, son but était d'abord d'établir une carte géométrique et de mettre en place avec exactitude uniquement les objets essentiels.

Deux cartes dérivées ont été réalisées à partir de la carte de Cassini :

- la Carte de la France par Louis Capitaine, réduction au quart de la précédente, présentée en 1790 en 14 feuilles avec les limites des provinces et généralités, puis révisée dès la même année pour faire apparaître les départements. Elle a été révisée ensuite par le Dépôt de la Guerre.

- l'Atlas National de France par départements de Pierre-Grégoire Chanlaire et Pierre Dumez, publiées pour les trois anciens départements de notre région, après les décrets de janvier 1790 avec les chefs-lieux de districts et cantons.

   Par Joël Bacquer(Juin 2001).

Les Cartes de cassini sont en ligne sur : le site de la Bibliotheque Nationale de France (taper CASSINI comme nom d'auteur et dans "type" sélectionner IMAGE Fixe).   

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