Mise à jour le : 20/05/04

Remonter

Les Bretons de VERSAILLES en 1883


Jean-Claude JORAND - 78150 Le Chesnay Membre : CG22-(N°1791) jean-claude.jorand@libertysurf.fr

Bonsoir,

Voici un article découvert dans l'un des journaux de l'ancienne Seine-et-Oise -(il en existait près de 60 à l'époque et le département était loin derrière le Nord avec 130 journaux) - paru le 23.12.1883 dans le "PETIT VERSAILLAIS"sous la signature de GROG. Il évoque la condition des Bretons de Versailles (n'est-ce pas Didier...). Cet article assez long, sera diffusé si vous le voulez bien, en trois épisodes. Bonne lecture, Bien cordialement


1er épisode

Il y a une quinzaine d'années, bien que Versailles fût alors relié avec Brest par la grande ligne de la Compagnie de l'ouest, la Bretagne semblait être à nos antipodes et nous parlions des Bretons, comme d'un peuple curieux et inconnu au milieu duquel quelques Versaillais, d'humour vagabonde, se hasardaient à faire de rares voyages de découvertes. 

A peine voyait-on, vers le milieu de l'été, de petites bandes de Bretons débarquer à la gare des Chantiers, leur faux sur l'épaule et leur mince bagage sur le dos, et traverser la ville pour aller faire la moisson dans les campagnes voisines. 

En 1870, à l'époque de nos malheurs, ils passaient par milliers, à cette même gare des Chantiers ; mais ils portaient des fusils au lieu de faux : les mobiles bretons venaient de concourir à la défense de Paris. 

Qui ne se souvient de ces soldats improvisés, mêlant à leur équipement militaire, encore bien incomplet, quelques parties de leur costume national, dansant aux carrefours, d'interminables rondes, en chantant les vieux refrains de l'Armorique et étonnant, six semaines plus tard, la population parisienne, par leur belle tenue, leur discipline et leur fière contenance devant l'ennemi ?

Qui ne se rappelle encore à Versailles, la curiosité qu'éveillait, six mois après, le passage, dans nos rues, de ce brave député breton venant siéger sur les bancs de la Chambre, au milieu des redingotes de nos honorables, avec sa veste aux broderies éclatantes, sa large ceinture bleue et son grand chapeau rond ?

Que les temps sont changés ! aujourd'hui les Versaillais ne peuvent faire un pas dans leur ville, sans coudoyer des Bretons. Du fond de la Bretagne, sur un courant d'émigration à l'intérieur s'est dirigé sur Versailles où, en un petit nombre d'années, une véritable colonie armoricaine s'est formée, comptant maintenant, plusieurs milliers d'individus. 

Qu'est-ce qui les a attirés au milieu de nous ? Pourquoi ces braves gens réduits à s'expatrier, par la pauvreté de leur sol, ont-il vu dans Versailles, la terre promise ? La proximité de Paris et de ses gigantesques travaux publics, la construction des ports qui nous entourent, l'établissement de nouvelles lignes de chemins de fer, le voisinage des grandes cultures qui s'étendent jusqu'aux portes de Versailles, leur ont sans doute, fait voir notre modeste ville, dans un séduisant mirage, comme la brillante capitale d'un Eldorado où le travail facile allait venir au-devant de leurs bras inoccupés là-bas, avec de gros salaires, sans chômages, et sans les arracher, pour toujours, au sol natal. 

Que de déceptions et souvent quelle misère plus dure à supporter et plus hideuse à voir, à la ville qu'au hameau, ont été le lot d'un grand nombre de ces émigrés ! Cependant leur flot grossit toujours et, dans certains quartiers de Versailles, l'élément breton l'emporte déjà sur l'élément indigène.

Sommaire


2ème épisode

Malheureusement la Bretagne transplantée à Versailles n'a rien de pittoresque :

elle ne nous a point apporté ces antiques et singuliers costumes qui commencent d'ailleurs, à se faire rares, même sur le sol breton. Pas de braies flottantes retenues aux hanches par la ceinture de laine aux vives couleurs, pas de cheveux tombants en longues boucles sur la veste brodée, pas de collerettes empesées, maintenues par des bijoux finement travaillés, pas de rubans tressés de soies éclatantes et de fils d'or, pas de ces ajustements féminins aux coupes gracieuses, parmi lesquels brille la robe de drap blanc de ces belles paludières, surnommées les c. salés par leurs grossiers compatriotes. Les émigrants bretons arrivent à Versailles avec de vilains vêtements de travail :

quelques uns portent encore, dans leur petit paquet de hardes, les habits de fêtes réservés pour les grandes occasions ; mais, au milieu de la population moqueuse de nos contrées, ils n'osent plus endosser le costume du pays dont on leur apprend à rire comme d'un déguisement. Quand la grosse veste et le gilet croisé sont usés, il sont remplacés par le gilet de tricot et la blouse bleue du journalier de nos villes ; quand la robe de drap plissée est hors d'usage, elle fait place à la jupe d'indienne et au caraco flottant de nos ouvrières. Seuls, le chapeau rond bordé de velours orné de la petite boucle d'ivoire et le bonnet blanc aux contours variés, sont religieusement conservés, comme un signe de ralliement sur la terre étrangère.

Dans le quartier de Montreuil, on se croirait en pleine ville bretonne : c'est là que nos hôtes ont transporté, presque tous leurs pénates. Ils sont groupés autour des nombreux lavoirs où les Bretonnes ont fait, a peu près, leur monopole du rude métier de blanchisseuses. Et puis, les loyers ne sont pas chers dans ces rues lointaines bordées de chétives habitations où les Bretons vivent en communautés aussi pauvres les uns que les autres. Le soir, au moment où les ateliers se ferment et les chantiers se dépeuplent, la grande rue de Montreuil retentit des accents de la vieille langue des Celtes, comme une rue de Quimper ou de Saint-Brieuc. Le dimanche, si vous continuez votre promenade jusqu'à la rue Saint-Jules ou la rue Champ-Lagarde, vous verrez, à presque toutes les portes, des groupes de Bretons bretonnant qui vous salueront au passage ; comme on salue un étranger traversant un village. On les retrouve encore aux environs des Quatre-Pavés, dans les baraques de la rue d'Anjou ou de la rue Royale, et dans quelques masures des rues voisines. Mais ils n'y forment pas cette population compacte qui donne au quartier de Montreuil, une physionomie toute particulière.

Sommaire


3ème épisode

Les Bretonnes, comme nous l'avons dit, sont presque toutes employées chez les maîtres blanchisseurs de Versailles, comme laveuses : elles passent leurs journées au milieu des cuves et des baquets, barbotant, avec leurs lourds sabots, dans l'eau savonneuse qui les imprègne de ses odeurs écoeurantes, tordant, dans leurs grosses mains bleuies, le linge ruisselant d'eau de lessive, et manoeuvrant le battoir avec une vigueur toute virile. 

Quelques-unes entrent comme domestiques dans les auberges et les cabarets, pour faire la grosse besogne ; plus rares sont celles qui pénètrent dans les maisons bourgeoises où, après une longue étude des premiers principes de la propreté, elles arrivent à la dignité de cordon-bleu, sans jamais parvenir aux délicates fonctions de femme de chambre. 

Quant aux Bretons, ils font tous les métiers qui ne demandent pas un laborieux apprentissage : arrivés sans ressources et pleins d'illusions rapidement détruites, ils s'embauchent, sans choisir, pour tous les travaux où il ne faut que des bras robustes et un tempérament dur à la fatigue. Les terrassements en occupent le plus grand nombre ; d'autres se font charretiers ; les boueux qui nettoient nos rues sont presque tous des Bretons ; quelques uns sont employés au Parc comme aides-jardiniers ; le chemin de fer en reçoit beaucoup comme employés auxiliaires ; d'autres enfin servent de maçons. Mais il en est encore trop qui, sans travail ou sans courage, vivent à nos dépens et mourraient de faim sans les secours de l'Assistance publique dont ils augmentent considérablement les charges.

Malgré la misère dont ils ont bien de la peine à se défendre, les Bretons sont généralement de bonne humeur et s'amusent parfois comme des enfants : c'est une joie pour eux que de faire revivre, de temps en temps, les vieilles coutumes du pays. Tout Versailles a vu les cortèges de noces bretonnes traverser gaiement les rues. Les couples s'en vont lourdement avec un balancement de cloche ; en tête le joueur de biniou s'avance, moitié marchant, moitié dansant sur l'air monotone d'un vieux refrain qui réjouit les noceux comme un écho des landes.

Mais hélas ! le musicien est en blouse bleue et son biniou n'est qu'une clarinette.

Le Breton, cependant, n'est pas toujours bon enfant : en changeant de patrie, il n'a pas perdu son caractère têtu et querelleur. Le vin aidant, il s'attire plus d'une mauvaise affaire et vient s'asseoir tout penaud sur les bancs de la police correctionnelle. Souvent, le délinquant ne sort pas un mot de français et les débats se font par l'intermédiaire d'un interprète chargé d'expliquer à son compatriote que, lorsque le vin est tiré, il faut le boire. 

Le Breton accepte la leçon avec cette résignation dont il a l'habitude et qui le soutient au milieu des tribulations de l'exil. Ce qui le soutient encore, au sein d'une population qui ne lui est pas très sympathique, il faut bien le reconnaître, et à laquelle il ne mêle pas, c'est son idée fixe du retour au pays natal et le devoir tenace d'accumuler, sou par sou, le petit pécule qui lui permettra d'y rentrer, à l'abri de la misère.

GROG.

Sommaire



Vos remarques

Webmaster.