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L'Histoire des protestants au XVII° siècle... à la lettre
Article sans doute paru dans Le Télégramme en 2000




       On ne sait rien, ou si peu, du protestantisme en Bretagne, à l'époque de l'Edit de Nantes. En publiant la correspondance du marquis et de la marquise de la Moussaye, entre 1619 et 1663, Jean-Luc Tulot (*) apporte donc un témoignage inédit sur la lutte au quotidien de la noblesse huguenote en Côtes-d'Armor au XVII° siècle.



       De la haute noblesse, en l'occurrence : Amaury de la Moussaye appartient à la branche cadette des Gouyon-Matignon, l'une des plus anciennes familles de Bretagne dont l'héritier direct est le prince de Monaco. Henriette-Catherine, son épouse, est la fille de La Tour d'Auvergne, compagnon d'Henri IV, et soeur de Turenne.

Giffle à l'évêque

       Cette femme de poigne, au caractère bien trempé "mais au grand coeur", a défrayé la chronique pour avoir tenté de giffler l'évêque de Saint-Brieuc, Denis de la Barde, ardent propagandiste de la Contre-Réforme catholique, sur les marches du palais de Rennes : "... plusieurs témoins déposoient avoir vu la dame de la Moussaye lever la main pour donner un soufflet à l'évêque et qu'il eût reçu, en effet, si le seigneur évêque n'eût pas été petit de stature et étant à une marche du pesron plus bas que la dame !".

Répression

       Ce geste d'humeur est toutefois une exception dans la vie du marquis et de la marquise. De fait, les 190 lettres, pour la plupart adressée à la soeur aînée d'Henriette-Catherine, la duchesse de la Trémoille, révèlent une extrême prudence ; indispensable en ces temps où le pouvoir royal utilise tous les moyens pour éliminer la puissance huguenote.

       Prudence de règle, aussi, pour protéger et permettre aux 300 protestants vivant en Côtes-d'Armor de pratiquer le culte dans les temples de Plouër, Plénée-Jugon et au manoir de l'Hermitage près de Quintin.

       Outre les tracasseries et les conflits avec leurs voisins, les marquis et marquise le paieront cher : le parlement breton n'admet pas un gouverneur huguenot ; il refuse d'enregistrer les lettres patentes de la Régente et de Mazarin attribuant cette charge à M. de la Moussaye. De même, en 1663, déjà affligé par la démolition des temples de Plouër et de Plénée-Jugon, le marquis sera écarté de la présidence de l'ordre de la noblesse aux Etats provinciaux bretons.

Froideur de Turenne

       Il avait pourtant consenti de lourds sacrifices - l'achat du comté de Quintin au prix exorbitant de 475.000 livres - pour pouvoir exercer cette charge. A cet égard, la correspondance de M. et Mme de La Moussaye est précieuse en tant que témoignage de la vie au quotidien d'une haute noblesse volontairement restée provinciale : stratégies matrimoniales, difficultés financières, préoccupations de santé... y tiennent grande place.

       Ces lettres révèlent aussi le profond attachement de la marquise à sa soeur aînée ; ce qui n'était pas le cas avec leur célèbre frère, Turenne, réputé pour sa froideur. Elles dévoilent, en fait, la profonde humanité d'une femme remarquable qui, à la fin de sa vie, aura vu s'écrouler tout ce en quoi elle croyait ; notamment la religion de ses ancêtres, abjurée par une partie de sa famille.

Injustice

       Au delà de l'intérêt historique de ses lettres privées, c'est ce destin de femmes qui a assurément ému Jean-Luc Tulot. Au point d'avoir envie de poursuivre ses recherches sur la correspondance de la duchesse de la Trémoille, "qui a été aussi calomniée par les historiens que sa soeur".

       Une injustice à réparer pour ce féru d'Histoire : en bon catholique mais qui, en digne descendant de trois générations d'instituteurs laïcs et républicains, se retrouve parfaitement dans l'éthique protestante. Histoire de compenser "le peu d'intérêt des protestants bretons pour leurs prédécesseurs du Grand Siècle ?".


Hervé Queillé



(*) Attaché territorial au Conseil Général



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