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Une route qui retisse l'histoire du lin
Article paru dans Ouest-France du 13 février 2001


Les communes du pays de Quintin, Uzel et Loudéac se souviennent que le tissage du lin a fait, autrefois, leur prospérité. Elles imaginent que le filon pourrait à nouveau être exploité, et pas seulement sur un plan touristique.


Les étais - grosses béquilles de bois - sont imposants. Et rassurants. C'est sûr, sans eux, cette "maison de toileux" perdrait de sa superbe, s'effondrerait irrémédiablement. Et emporterait dans sa ruine quelques belles décennies, voire quelques siècles de prospérité oubliée. Le bourg de Saint-Thélo (Côtes-d'Armor) renferme quelques joyaux délabrés comme celui-là. "On en trouve partout entre Loudéac et Quintin, dans tout le pays d'Uzel. Dans les bourgs comme en pleine campagne. On reconnaît facilement ces belles demeures de négociants, des XVII° et XVIII° siècles, toutes de granit et de schiste". Bernard HULIN en parle comme s'il avait découvert la caverne d'Ali Baba.

Le fil d'Ariane

A 42 ans, ce Normand, historien de l'art, que la passion du développement touristique a exilé dans le sud de la Vendée, vient d'hériter de la mission de mettre en valeur ce patrimoine lié à l'histoire du lin, dans le Centre-Bretagne. Voilà vingt ans que le pays d'accueil de Loudéac et la commune d'Uzel ont pris conscience qu'il y avait là un fil (d'Ariane !), voire un filon, sur lequel il serait judicieux de tirer parce qu'il faut bien lutter contre la dénatalité et le chômage.

La gestation du projet a été longue, douloureuse parfois. "Une chape de plomb recouvrait cette histoire". Anne BRIEZ, une animatrice de la CAF, qui a été la cheville ouvrière de cette démarche pendant des années avant de passer la main à Bernard HULIN, sait combien il est difficile encore d'évoquer cette mémoire. "Tisserand, c'était un métier de misère, dont on vivait difficilement. Seuls les négociants tiraient leur épingle du jeu. Mais, au bout du compte, ça c'est mal terminé pour tout le monde".

Dans ce triangle Quintin - Moncontour - Loudéac, longtemps mangé par la forêt de Brocéliande, on tissait le lin, qui venait du Trégor, on tissait le lin presque dans chaque maison. Les négociants allaient vendre la toile à Saint-Malo, aux marchands de Cadix, qui l'exportaient vers l'Espagne, puis vers le Nouveau Monde où ces tissus fins, légers étaient hautement appréciés. Ce sont ces marchands espagnols qui ont donné l'appellation "bretagnes" à ces toiles réputées.

Un commerce juteux grâce auquel les négociants ont bâti ces grandes maisons, mais ont aussi payé nombre d'enclos paroissiaux. Jusqu'à ce que la belle machine se casse sous les "coups de boutoirs de l'histoire". D'abord celui du blocus continental contre Napoléon qui a gelé le commerce maritime. La révolution industrielle britannique avec ses nouveaux métiers à tisser, puis la concurrence du coton ont sonné le glas du lin. Les tisserands ont remisé leur métiers et sont allés creuser la rigole d'Hilvern pour alimenter le tout neuf canal de Nantes à Brest. D'autres se sont faits pillotous (marchands de peaux de lapins et de taupes). Les négociants, eux, ont retroussé leurs manches et ont défriché leurs terres pour devenir agriculteurs. Ils ont accolé à leurs belles bâtisses des granges et des étables.

"Tout est bon"

Aujourd'hui, c'est cette histoire que l'on veut exhumer, ce patrimoine que l'on veut restaurer, ce lin que l'on veut réhabiliter. Bernard HULIN va avoir à mettre sur pied quatre projets. D'abord, la création d'un atelier-musée de la toile à Uzel, puis un centre du patrimoine architectural de la toile à Saint-Thélo, véritable centre technique. A Quintin, on va aménager des maisons de tisserands et de négociants qui seront ouvertes aux visiteurs. Loudéac, enfin, accueillera un important musée dédié au lin et à ses mille et un usages.

Ainsi naîtrait la Route du lin, susceptible d'attirer les touristes. Mais aussi de susciter un renouveau d'activité autour de la fibre. "C'est une plante qui a beaucoup de propriétés, plaide Bernard HULIN. Tout y est bon. Pour faire un tissu que l'on apprécie à nouveau, mais aussi pour fabriquer du linoléum, isoler les maisons, pailler les cultures. On peut même en faire un tourteau pour remplacer avantageusement les farines animales".

En revivifiant ses racines, le pays de Loudéac cherche ni plus ni moins qu'à ressusciter sa prospérité.

Bernard RICHARD


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